Chroniques sociales d’un épicurien
By Jean-Baptiste Maugars, Directeur Général | Vins & Spiritueux | Fine-food | Art de vivre
Le vin se lit autant qu’un livre se boit
Nous découvrons la littérature avant le vin, mais reliés par le langage, les deux nous transmettent la conscience intime que nous avons des sensations. Le vin se lit autant qu’un livre se boit. Et très vite nous vient le vertige de l’impossibilité de tout lire et de tout boire, et la certitude que ces deux marqueurs de civilisation donneront du sens à notre vie.
Le vin, un livre ? Certains opposeraient la nature à la culture, l’art à l’artisanat, les sens à l’essence.
Les grands vins sont ceux dont on se souvient
Naturellement, si la lenteur de leur élaboration les réunit, leur consommation diffère : tragédie ou beauté de l’éphémère, le vin est une météorite : son anticipation et son souvenir ont une valeur, mais son moment de consommation est fugace. Les grands livres sont ceux qu’on relit, les grands vins ceux dont on se souvient.
Et puis, les vrais lecteurs s’intéressent davantage aux livres qu’à leurs auteurs. Certes, « Madame Bovary, c’est moi », mais peu nous chaut si le normand Gustave préférait le cidre au beaujolais. Le livre vit sans son élaborateur alors que le vin a du mal à oublier son auteur : c’est heureux.
Parler du vin
Mais l’immense et ancestral lien qui enveloppe Bacchus et les Muses, c’est le langage. Parler du vin, c’est parler de soi et de ce qui nous relie aux autres (même les non buveurs), de l’espace et du temps, de la mémoire, des chemins de traverse partagés dans une ébriété heureuse. Le silence expressif de certains vins est aussi un langage, et une forme d’art.
Le vin n’a de vérité que par le langage qu’il suscite, porte et diffuse : celui du vigneron, celui de notre caviste, celui de nos amis. Au delà du vocable parfois lassant et répétitif (clichés, mots valises ou contresens) qui tend à saturer l’espace sémantique, la jubilation du partage de nos émotions consacre notre objectif secret : celui d’établir un espace où chacun va au delà de soi.
Le pouvoir de la littérature est à l’image de celui du vin
Ayant eu la chance de participer, en tant que juré, au récent Prix du Livre Inter*, je peux témoigner que le pouvoir de la littérature est à l’image de celui du vin.
Les débats générés par la même lecture de dix livres vont bien au-delà de leur matière, et rassemblent aussi joyeusement et subtilement un jury hétéroclite amoureux des sens que les commentaires d’un vin que l’on aurait servi ce jour-là. Et jaillit soudain, comme un vin bienfaisant d’Arbois ou de Chypre, le langage fulgurant et sensible d’un auteur. En ce sens, la littérature et le vin sont deux des plus fécondes formes de culture.
Le vin n’est pas un livre, c’est une lecture
Car à la fin du jour, comme diraient nos amis de la terre de l’angle, livre ou vin, nos sensations sont exprimées de telle sorte qu’elles créent un objet qui deviendra pour d’autres une sensation. Et il en est des buveurs comme des lecteurs : l’hédoniste dit ce qu’il ressent vraiment, le stoïcien ce qu’il décide de ressentir et le faquin ce qu’il croit devoir ressentir. Le vin n’est pas un livre, c’est une lecture.
Alors savourez ces deux plaisirs suprêmes, flânez dans les livres et les vins, allez « à sauts et à gambades » comme Montaigne, en partageant comme lui votre cheminement: « Nul plaisir n’a saveur pour moi sans communication : il ne me vient pas seulement une gaillarde pensée en l’âme, qu’il ne me fâche de l’avoir produite seul, et n’ayant à qui l’offrir ».
Et c’est ainsi que Bacchus est grand.
* Lauréat du Prix du Livre Inter 2021, sous la présidence malicieuse de Dany Laferrière : « Un jour ce sera vide », Hugo Lindenberg, éditions Christian Bourgois
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