#6. Les notes du vin, retour à la classe primaire

Chroniques sociales d’un épicurien
By Jean-Baptiste Maugars, Directeur Général | Vins & Spiritueux | Fine-food | Art de vivre

Le vin, note ou sensation ?

C’est la rentrée ! Des classes, bien sûr, mais aussi des vins. Mois des vendanges, septembre est aussi celui d’une effervescence commerciale palpable : nous faisons face à un vaste choix de vins. Surgissent immanquablement, accompagnant leur mise en avant, de singuliers augures : les notes.

La surenchère d’évaluations qui caractérise notre époque est généralement postérieure à la consommation : à peine avons-nous effectué un achat que l’on nous demande de le commenter. Le vin a ceci de particulier que sa note nous est indiquée avant de le boire, et que nous sommes rarement sollicités pour l’évaluer ensuite.

A l’inverse de celles des étudiants, les notations des vins sont prédictives : quelques élus ont goûté, du bout de la langue, un échantillon supposé représentatif. Leur laborieuse et empirique gymnastique leur permet de classer dans un temps record et hors de tout contexte de consommation habituelle des centaines de vins, sur 20 ou sur 100, selon les continents. Dans la lignée du célèbre et désormais retraité Robert Parker (qui, lui, buvait les vins), une poignée de spécialistes publient leurs sentences et sont devenus des marques. Il n’est pas un revendeur, un prescripteur, un site de ventes qui ne mette en avant une évaluation de ces nouveaux gourous. L’influence des notes est telle qu’en deçà d’un certain seuil le vin est invendable, au delà il est introuvable !

Quelques commentaires laconiques complètent la notation, presque aussi interchangeables que ceux des horoscopes : « des notes de fruits rouges, une bouche ample et fraîche, de légers tanins, une finale fondue, aussi élégant aujourd’hui que demain, etc. ». Entendre un vigneron ou un caviste parler du vin, c’est un plaisir. Lire les commentaires en batterie, c’est un pensum. La saturation sémantique du monde du vin est un virus agressif.

Dans cette histoire de chiffres et de lettres, ce que retient notre sphère assoiffée de signes, c’est le score qui résume, qui simplifie, qui facilite, qui tranche. Certes, l’univers du vin est vaste, les viticulteurs nombreux et les goûts infinis. Le profond labyrinthe des appellations, des producteurs, des arômes et des saveurs est intimidant : alors, pourquoi ne pas tenir compte des notes ? 

Car elles sont réductrices, infantilisantes et affligeantes. 

L’inconstance du vin

Réductrices car la beauté terrible du vin, c’est son inconstance. Il est issu d’un écosystème mouvant : la terre, le sol, la vigne, le climat. Son créateur peut légitimement avoir des sautes d’humeur, et de talent. Ses conditions de consommation sont toujours changeantes et influentes : par nature, le vin n’est pas un produit standard, duplicable, au goût uniformisé. Un jugement de laboratoire trouvera une légitimité instantanée, dans un lieu donné. Mais il reste éphémère. Ce n’est pas un hasard si la Bourgogne, monde de nuances, a découragé les comptables médiatiques : une note n’est pas un accord, la finesse et la complexité lui sont étrangères. 

Le vin est un langage

Infantilisantes car le vin est un langage et non une arithmétique. Associer un vin à l’algèbre est aussi factice que le décrire par la proportion de ses cépages. Sous le prétexte de simplifier et faciliter, ce procédé ajoute en réalité une couche de supériorité et d’élitisme en enlevant à l’acheteur une part de son libre arbitre. Manquons-nous de confiance à ce point dans notre goût ? Devrions-nous servir nos vins en clamant leur note ? 

Le vin ne peut être réduit à un chiffre

Affligeantes car le monde n’est ni un jeu de loto ni un concours de calcul mental. « Deux et deux font quatre, c’est le début de la mort » : Dostoïevski était implacable. Mais de fait, à quel autre produit attribuons-nous de la sorte une sentence performative ? La complexité, la diversité, les accidents, les surprises, les circonstances de consommation : tout cela ne peut pas être contenu dans des chiffres.

Apprécions le vin comme la musique

Les notes les plus plaisantes, ce sont celles de musique. Pythagore a formalisé l’harmonie, mais la mystique musicale s’affranchit des mathématiques pour laisser place aux émotions (notables, annotées et non à noter). Apprécions le vin comme la musique, laissons les flux chiffrés dans le secret des caves ! 

Observez donc lucidement ces scores théoriques. Ce sont des panneaux indicateurs : ils balisent une direction mais ne restituent pas le sensible. Ecoutez plutôt le vigneron, le sommelier, le caviste : passeurs et non prophètes, ils privilégient le récit au présage, le sens à l’effet et la dégustation aux compétitions : vous naviguerez sous des auspices plus féconds. Vous n’emporterez pas une note, mais une sensation

Bref, s’il existe une vérité dans le vin, c’est la vôtre. Et c’est ainsi que Bacchus est grand.

(Re)trouvez les précédentes chroniques de Jean-Baptiste Maugars sur Culture, Tribunes Libres.

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