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#8. L’antique beaujolais ou le plaisir du vrai beaujolais

Chroniques sociales d’un épicurien
By Jean-Baptiste Maugars, Directeur Général | Vins & Spiritueux | Fine-food | Art de vivre

Novembre, le mois le plus triste de l’année ? Climatiquement en tout cas, hormis le délice des couleurs bigarrées des feuilles tombantes : l’almanach révolutionnaire ne s’y était pas trompé, novembre était à la fois brumaire et frimaire…..Gustativement en revanche, les champignons, les huîtres, le gibier, les plats mijotés et les fromages affinés peuvent ravir les papilles. Avec un peu de chance et quelques ami(e)s, il se peut même que novembre renforce le plaisir des tablées joyeuses, l’indulgence des bains brûlants et le temps suspendu des cigares de méditation (voluptés de plus en plus coupables, mais encore tolérées).

Du nouveau, pour le beaujolais ?

Et, bien sûr, nous avons croisé le trublion habituel de ce neuvième mois du calendrier romain : le beaujolais nouveau. On en connaît l’orchestration, initiée il y a quelques décennies par un négociant célèbre : un vin à peine sorti du berceau, une bruyante fanfare publicitaire, un écho mondial : du vivant, du contemporain. Bref, du nouveau. Plus exactement, du nouveau pour le vin.

Art nouveau, nouveau roman, nouvelle vague, nouvelle cuisine, bossa nova : c’est souvent réussi. Mais le beaujolais nouveau, ce fût souvent raté : goût banane et gueule de bois. A l’inverse de mouvements qui proposaient une esthétique, une construction, de la subtilité et de la beauté,  cette partition renouvelée est surtout celle d’une simplification extrême et d’une banalisation industrielle.

Beaujolais contre beaujolais

Les défenseurs de ce mécanisme promotionnel motivé par le profit avancent leurs arguments : une notoriété mondiale, une découverte du gamay et le fameux marronnier du « rajeunissement ». Hélas, cela n’a sauvé ni le vignoble ni le commerce : depuis quinze ans, une perte de 40% des surfaces et de 50% du chiffre d’affaires.

Mais ce nouveau, qui s’est épuisé à force de l’être, n’a-t-il pas permis de confirmer deux vérités majeures ? 

Le beaujolais est au vin ce que le New Orleans est au jazz

En poussant un peu le bouchon, si j’ose dire, on pourrait considérer que le beaujolais est au vin ce que le New Orleans est au jazz : un style à la fois ancien et joyeux, de la vie de tous les jours et pourtant profond, et dont beaucoup d’interprétations en caricaturent l’esprit, alourdissant les effets et délivrant des mélodies univoques, lassantes, sans rapport avec la sensibilité et le rapport au temps de cette musique. Le beaujolais nouveau correspond à ces scories que l’on peut éviter. Le vin est comme la musique : si on le dénature, il est affreux ; quand il provoque une rencontre intemporelle et culturelle, il est sublime.

Le beaujolais est une partie minuscule du mondovino, mais aussi un magnifique extract. Ne le réduisons pas à son éphémère caricature. Ne boudons pas notre plaisir spontané des quelques bouteilles vite faites de novembre, bien sûr. Mais nul besoin d’aller, comme le poète, au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau : allons chez les vignerons et chez nos cavistes, ils sont témoins qu’au delà du nouveau il y a toujours la même vérité : celle de l’esprit éternel du vin, celui de la terre, du temps et du paysan.

Et c’est ainsi que Bacchus est grand.

PS : pour votre prochain dîner, rappel mnémotechnique pour n’oublier aucun des 10 crus du beaujolais : « Alors Je Cherche Mon Frère Chez Ma Respectable Cousine Berthe » *
* Saint-Amour, Juliénas, Chénas, Moulin-à-vent, Fleurie, Chiroubles, Morgon, Régnié, Côte-de-brouilly, Brouilly

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