By Hugo Levavasseur | Ambassadeur Cavistes @Bottl.
Nathalie Montain anime la cave À l’anqueVin située à Nice dans le quartier du port et nous vante l’incroyable potentiel gustatif des spiritueux sans alcool.
Nathalie Montain, comment es-tu devenue caviste ?
Je suis issue d’une famille qui a toujours été très proche du monde du vin. Et puis, suite à une rupture conventionnelle, je suis retourné sur les bancs de l’école à Nice pendant plusieurs mois, en formation chez Franck Thomas, meilleur sommelier de France. Je souhaitais donner un aspect théorique et surtout recevoir un diplôme pour peaufiner mes connaissances que j’avais déjà bien développées de mon côté.
J’ai ensuite travaillé en caves, brasseries et restaurants étoilés sur la Côte d‘Azur et en Bretagne. Et un jour, j’ai eu une opportunité, un local s’est libéré, et on s’est retrouvé à faire un business plan, la banque nous a suivies, et de fil en aiguille, j’ai ouvert ma cave, 10 jours avant le confinement.
J’avais vraiment l’envie d’accompagner, de conseiller et de faire découvrir l’univers des vins et spiritueux. Donc je peux vous le dire, je suis très heureuse d’être officiellement caviste depuis 2 ans.
Peux-tu nous parler de ta cave À l’anqueVin ?
La cave À l’anqueVin est située à Nice dans un petit quartier un peu excentré du centre-ville, dans le quartier du port. Aujourd’hui, on a trois espaces bien identifiés : la première pièce, qui est la salle « des ventes » (vins, bières, épicerie fine), la deuxième, la partie cocktail et spiritueux avec un petit bar pour donner l’ambiance, et la dernière qui est une salle de dégustation avec quelques spiritueux haut de gamme.
C’est sûr que j’ai un travail de communication à réaliser, j’ai encore des habitants qui habitent à deux rues de la cave et qui la découvre en allant chercher leur baguette de pain.
Pour cela, on se construit au jour le jour et je peux m’aider notamment de mes 2 apprenties qui ont suivi la même formation que la mienne et qui m’aident dans cette belle aventure. On est une équipe complémentaire et 100% féminine pour le coup, elles apportent un regard plus jeune et complètent ma vision.
Peux-tu nous parler de ton offre de spiritueux sans alcool ?
Tout a commencé avec la marque JNPR que je connaissais à titre personnel, qui d’ailleurs, a été créée en même temps que l’ouverture de ma cave.
Fan de gin mais…
C’était une évidence de faire rentrer ces produits, puisque je suis une fan de gin mais étant mère d’une petite fille, je ne pouvais pas me permettre de faire des gins tonics alcoolisés tous les soirs. C’était la solution idéale pour garder ce côté plaisir, détente, tout en restant raisonnable. Je me suis aperçu rapidement que les clients ont été réceptifs à cette offre et du fait que ma sœur était enceinte à l’époque, j’ai donc fait rentrer des bières sans alcool, qui ont aussi suscité un certain engouement.
Vin sans alcool ou vin désalcoolisé
J’ai ensuite commencé à chercher à compléter ma gamme, je me suis donc tournée vers d’autres marques, au départ françaises. Mais par manque d’offre, j’ai regardé ce qui se faisait à l’étranger et j’ai remarqué des belles propositions notamment en Angleterre, aux Pays–Bas ou encore aux États-Unis, ces derniers étant d’ailleurs un peu précurseurs sur nous. J’ai en tête l’ouvrage de Natalie Bovis-Nelsen, une créatrice de cocktails qui en 2009 parlait déjà de Nonalcoholic Wine, vin sans alcool ou Alcohol removed wine, vin désalcoolisé.
De la mixologie sans alcool
J’ai donc référencé au fur et à mesure des sans alcool, récemment, de l’amaretto et de la liqueur de café. Mais je ne voulais pas me contenter de proposer une simple bouteille, j’ai rapidement souhaité créer une véritable expérience de mixologie sans alcool. J’ai donc développé en parallèle des jus de fruits, des sirops, des garnishs et récemment des fiches cocktails pour accompagner les clients dans leurs dégustations.
Au total, j’ai une belle offre constituée d’une vingtaine de spiritueux sans alcool : bières, vins et spiritueux sans alcool.
Le potentiel gustatif des spiritueux sans alcool
On a notamment Optimae, une maison française productrice d’un gin que j’apprécie beaucoup qui se nomme Atlantis, très frais et avec une jolie palette de jeu pour la dégustation. En cocktail, le résultat est surprenant !
Sur la même catégorie, j’ai Abstinence, un gin très délicat issu d’une macération de fleurs et de plantes qui vient d’Afrique du Sud. On a également RhumISH, qui vient des Pays-Bas, un rhum ambré épicé. De tête, on va avoir prochainement 2 vins sans alcool qui viennent d’Allemagne, et j’avoue que l’expérience est plutôt bluffante.
Sans oublier quelques spiritueux désalcoolisés que je vais bientôt proposer. Nous sommes sur la texture et le goût du spiritueux mais sans l’alcool via la technique de l’osmose qui retire l’alcool du produit.
Ce qui est vraiment intéressant, c’est qu’avec les spis sans alcool, nous avons un potentiel dégustatif incroyable ! On s’est amusé avec mon apprentie à réaliser une carte de 15 cocktails sans alcool comme si nous étions un bar. Nous allons d’ailleurs les faire goûter lors d’une dégustation qu’on va réaliser samedi prochain dans la cave. Je souhaite vraiment démocratiser la mixologie à domicile et montrer l’aspect accessible et facile.
Quels sont les profils des consommateurs de ces spiritueux sans alcool ? et y a-t-il eu un élargissement/évolution de ces profils depuis l’implantation de cette catégorie dans ta cave ?
Le profil est principalement celui de la femme enceinte ou avec jeunes enfants qui souhaite consommer de manière raisonnable tout en gardant le plaisir cocktail et dégustation. En d’autres termes, c’est le plaisir sans la culpabilité. Par exemple, une dame est venue samedi dans la cave, quand elle a vu un de nos gins sans alcool, j’ai cru qu’elle avait vu le sapin de Noël avec tous les cadeaux dessous !
En parallèle, j’aperçois petit à petit une clientèle supplémentaire, plutôt sportive, qui souhaite limiter son nombre de calories tout en conservant le côté plaisir en fin de journée.
Autre point intéressant, on arrive également par moment à convertir un client habitué des spiritueux avec alcool, aux sans alcool. Ceci étant expliqué par les calories d’une part, et par la volonté d’avoir une consommation responsable au volant.
Quel est l’élément le plus important pour un consommateur d’un spiritueux sans alcool ?
D’une manière générale, le consommateur s’intéresse plus aux sensations, aux résultats en bouche avec la notion de plaisir, plutôt qu’aux autres aspects comme la provenance.
Il est clair que le client a besoin d’être rassuré, il recherche avant toute chose à retrouver les sensations et les goûts/saveurs qu’il perçoit avec un cocktail avec alcool. Pour cela je me dois d’être pédagogue et de les accompagner pour lutter contre certaines certitudes ou a priori.
Par exemple, si un client choisit notre rhum sans alcool, RhumISH, je lui explique que la texture ne sera pas la même qu’il connaît sur un rhum traditionnel. Par contre, accompagné de tel ou tel autres ingrédients, il pourra retrouver l’esprit d’un cocktail et donc la sensation qu’il attend. Ainsi, les ateliers que je vais mettre en place sont un bon moyen de rassurer le client avec la dégustation.
Je dois dire que la question de la démarche de fabrication et de l’explication du résultat est aussi demandée. À l’inverse, je remarque que la provenance, donc le pays d’origine, le lieu de fabrication, semble moins important pour le client.
En tous les cas, si je peux rassurer certains consommateurs qui pourraient se questionner sur la qualité des spiritueux sans alcool d’une manière générale, je leur dirai que les producteurs mènent une vraie priorité à la qualité de leur produit. Les producteurs que j’ai pu rencontrer sont transparents, explicitent envers la provenance des ingrédients, et son dotés d’un excellent savoir-faire.
D’après toi, comment ce marché va-t-il évoluer dans les années à venir en France ?
La France a souvent été en retard sur certains sujets. On le voit dans les sans alcool, la marque JNPR que je propose s’est fait connaître en France , mais c’est surtout au niveau international qu’elle a commencé à acquérir sa vraie reconnaissance. En effet JNPR et BTTR, les deux créations maison, sont arrivées sur le podium des London Spirits Awards mettant en avant le savoir-faire exceptionnel des deux distilleries à l’origine de ces spiritueux sans alcool.
Autre clin d’œil ou mise en lumière par le biais de l’ouverture d’esprit international , c’est au sein d’un des 50 meilleurs Bars à Cocktails au Monde que JNPR est à la carte des cocktails – et ce bar est le 1930 situé à Milan en Italie… JNPR et BTTR sont également très présents en Italie .
Je pense que le marché français va se développer avec le temps petit à petit. Il faut dire aussi que ce marché a été perturbé par certains acteurs (bières et vins sans alcool) qui ont véhiculé une image non qualitative en élaborant des produits non appréciés qui n’ont pas conforté certaines personnes à poursuivre dans le sans alcool.
Je pense que si le marché monte en qualité, et en offre, en montrant par exemple qu’on ne propose pas seulement 3 ou 4 gins mais tout une offre de gin sans alcool, les gens se montreront plus attentifs.
Autre point prometteur, j’ai eu une forte demande de rosé sans alcool cet été. De par le changement climatique, les degrés d’alcool vont croître de plus en plus, et les gens souhaitant les limiter, se tourneront de plus en plus sur des degrés plus faibles voir nul. Pour moi, le pas avec le sans alcool sur les spiritueux se passera sous les 3 à 5 années, cette tendance deviendra un mode de consommation à tous les niveaux et y compris dans les bars.
Si pour les spiritueux, je reste très « ouverte » aux propositions qui de par les ingrédients et techniques multiples offrent un large choix de possibilités, je suis beaucoup plus stricte sur le rendu des vins sans alcool et attend encore d’être totalement séduite. J’ai en effet du mal à me départir de la notion de terroir, et d’authenticité propres aux vins pour me laisser tout à fait convaincre. À ce jour, ce ne sont que deux vins pétillants sans alcool qui ont véritablement retenu mon attention.
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