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Évitons la « natuniformisation » du goût !

By Emmanuel Gay, marchand de vins | Vinalliance, Paris 14ème

Les vins dits « naturels »

Le rapport qualité/prix/plaisir a toujours été mon critère principal à l’heure de prendre l’importante décision de distinguer un producteur dont je pourrai mettre en avant les indubitables caractères de ses vins. Proposer un choix exhaustif aux clients sans imposer une vision unique de ce noble breuvage où mes propres préférences, en s’adaptant au marché local me semble également primordial. 

Malheureusement, j’ai l’impression que certains sommeliers et prescripteurs veulent imposer leurs critères gustatifs, sans prendre en compte les préférences de la personne face à eux, qui a tout de même le droit de ne pas apprécier certains types de vins. Cela est particulièrement le cas avec l’émergence des vins dits « naturels », terme galvaudé, le vin n’ayant rien de naturel et ne se fabriquant pas par simple intervention divine, mais grâce au travail des vignerons et des œnologues, surtout ceux vinifiés avec peu ou pas de So2 qui demandent, au contraire, une approche technique très pointue. Il sera donc plus correct de les désigner en tant que « vins sans sulfites ajoutés » car Mère Nature les aurait simplement transformés en « piquette » comme c’était le cas avant l’utilisation généralisée des So2 dès qu’arrivaient les beaux jours.

Halte à la vinification stéréotypée

Nous avons la chance en Europe et particulièrement en France, d’avoir une multitude de terroirs différents, sublimés par des vignerons talentueux, nous permettant d’éviter l’uniformisation du goût qui sévit dans le reste du monde où les Cabernet Sauvignon, Chardonnay et autre Syrah ont souvent tous le même goût, alors que, produits à des milliers de kilomètres de distance, tout cela à cause d’une vinification stéréotypée, détail qui leur permet d’être facilement identifiables et de rentrer ainsi dans des cases.

On se rappelle aussi de ces polémiques, plus ou moins fondées, il y a une vingtaine d’années, autour de la mondialisation du goût par les flying wine makers dont Michel Rolland est le représentant le plus célèbre et à qui on reprochait de « parkeriser » les vins en France et dans le monde, car tous les domaines qu’il conseillait (et qu’il conseille encore) étaient particulièrement bien notés par le célèbre critique américain Robert Parker (voir ou revoir le film documentaire de 2004 « Mondovino » de Jonathan Nossiter).

Or, la banalisation des vinifications sans sulfites ne nous fait-elle pas aller dans les mêmes travers que celle de l’extraction à outrance et le boisé entêtant qui était de mise à la fin des années 90 ?

Sulfites ou pas sulfites ?

Bien que les sulfites soient présents dans de nombreux aliments du quotidien sans que cela ne dérange grand monde, hormis peut-être les rares intolérants qui représentent moins de 1% de la population, certains continuent à les diaboliser malgré leur utilité qui n’est plus à prouver dans la vinification des grands vins.

Mais, en sacralisant les vins dits « naturels », ne tombons-nous pas, au mieux, dans cette uniformisation que nous critiquions, ou au pire dans la banalisation du mauvais goût quand on veut nous faire boire ou plutôt ingurgiter des « breuvages » pétillants aux « subtils » arômes de souris ou de grange, sous le fallacieux prétexte qu’ils seraient des arômes naturels de vins non « trafiqués » ?

Pourtant ces vins, quand ils ne sentent pas le poulailler, sont très intéressants pour certains moments de consommation, particulièrement quand on souhaite déguster un vin rouge à l’apéritif plutôt qu’un blanc, un mousseux ou un rosé, cas de plus en plus fréquent.

Quand ils sont exempts de déviance aromatique, ce qui n’est pas toujours le cas, étant-donné les nombreux clients qui ne veulent pas en entendre parler après de mauvaises expériences, (ce qui m’arrivait avec les vins bio il y a 10 à 15 ans), ils présentent une trame agréablement fruitée, et sont particulièrement gouleyants car peu ou pas du tout fermés, un faible dosage en So2 évitant de « durcir » le vin, problème classique dans une vinification traditionnelle.

Ils peuvent donc être bus frais ce qui est particulièrement appréciable en période estivale. Ce sont typiquement des vins de « copains » pour une consommation décontractée. Ils sont parfaits pour faire découvrir le vin à une population néophyte, car simples et faciles d’accès. Ce type de vinification est par exemple très intéressant pour les vins de Bordeaux qui ont souvent le défaut d’être fermés et austères dans leur jeunesse. Sans doute, l’une des raisons de la désaffection d’une partie de la clientèle pour cette région. Il est donc appréciable de découvrir de plus en plus de cuvées de ce type chez des producteurs girondins, d’autant plus qu’ils peuvent mieux les valoriser par rapport à un « petit Bordeaux » classique.

Les vins sans So2, une alternative sans obsession aux vins traditionnels

Là où le bât blesse, ce sont les avantages de ces vins sans sulfites non déviants, qui peuvent vite devenir des défauts pour beaucoup d’amateurs. Malheureusement, on constate alors, que le terroir est souvent effacé au profit d’un produit se situant entre vin et jus de raisin, très semblable d’un producteur à un autre, d’une région à une autre, et même d’un pays à un autre. Pour preuve, ce qui est arrivé à un producteur de Fronsac (Bordeaux) qui, en goûtant un vin sans sulfite apporté par sa fille, a été incapable de découvrir qu’il s’agissait d’un … Bordeaux !

Personnellement, même si j’ai eu plaisir à goûter un certain nombre de cuvées sans So2, je n’ai jamais dégusté de grands vins vinifiés de la sorte. J’avais pourtant référencé une cuvée de Châteauneuf du Pape, encensé par un célèbre critique français, mais la cuvée « classique » étant bien plus intéressante et complexe, celle sans So2 ajouté n’a jamais trouvé son public car il est vrai que lorsqu’on investit près de 40€ dans une bouteille, on a du mal à se contenter d’une simple compotée de fruits rouges et noirs … Je me suis donc retourné quelques années plus tard vers leur cuvée de Rasteau vinifiée de la même manière, mais environ moitié moins cher qui, cette fois, est devenue un véritable best-seller ! Néanmoins, il faut signaler que l’une des premières bouteilles vendues de ce Rasteau, m’a été ramenée par un fidèle client n’ayant pas apprécié son côté perlant. En effet, le Co2 présent dans ces vins leur servant de protection naturelle, il est souvent nécessaire de les carafer énergiquement, ce qu’il avait, malgré nos conseils, omis de faire. Mais 48 heures après ouverture, la bouteille n’avait plus de gaz et était excellente!

Bref, même s’ils ont toute leur place dans une cave ou un bar à vins et même, plus difficilement sur une carte de restaurant, étant donné la limitation des accords possibles, ils ne doivent pas devenir la norme ou une obsession, mais juste une alternative intéressante aux vins plus traditionnels quand on désire un « vin plaisir ».

Afin de ne pas tomber dans une « natuniformisation » du goût, ils ne doivent surtout pas se substituer aux grands vins de terroirs et/ou d’auteurs, vinifiés de façon traditionnelle, qui souvent demandent de la patience, mais vous laissent des souvenirs impérissables quand ils sont dégustés à leur optimum d’évolution. 

Vinalliance