Guillaume Drouin, 3e génération du domaine Christian Drouin nous raconte son parcours, sa vision du Calvados et du terroir normand et sa passion pour l’innovation.
Parlez nous de vous : comment êtes-vous arrivé dans les spiritueux ?
Mon grand-père avait une cave de vins incroyable et lorsque j’ai commencé à être en âge de les déguster, lors des repas de famille, je l’accompagnais à la cave et on allait choisir les bouteilles ensemble. J’adorais ça, car il me racontait l’histoire derrière chacune de ces bouteilles. Et puis on remontait, on choisissait les verres, il y avait un joli cérémonial et c’est un univers qui me plaisait beaucoup.
A 15 ans, j’avais donc déjà pris la décision de travailler dans le secteur du vin, je voulais être oenologue. J’ai fait des études pour cela, j’ai passé un diplôme d’ingénieur agronome et un diplôme d’oenologie puis j’ai travaillé dans le vin pendant quelques années. J’ai profité de ces premières années pour voyager et pour découvrir comment on vinifiait en France et dans d’autres régions du monde. J’ai fait du vin dans le Languedoc et à Bordeaux mais aussi en Tasmanie et en Afrique du Sud. Et puis je me suis retrouvé un peu par hasard en Haïti, je suis allé proposer mes services chez Barbancourt et on a rapidement trouvé comment s’entendre. Je suis devenu consultant pour eux : j’ai refait tous les schémas de vieillissement de la cave et j’ai aussi travaillé sur les systèmes de traçabilité.
Cela a été ma première expérience dans le monde des spiritueux et surtout celle qui m’a ouvert les yeux sur cet univers. J’ai découvert que c’était super riche, je ne mesurais pas tout à fait la profondeur et la complexité de ce secteur d’activité. Je suis donc rentré en France, j’ai poursuivi mes études en management et, juste après, j’ai commencé à travailler avec mon père, au domaine familial Christian Drouin qui avait été fondé par mon grand-père en 1960 et repris par mon père au début des années 1980.
Parlez nous du Calvados et de votre vision de cette catégorie
Le Calvados c’est un spiritueux qui aujourd’hui encore, est méconnu et peut-être sous-estimé. C’est clairement un des plus jolis spiritueux de France et un des plus historiques aussi – nous avons plus de 5 siècles d’histoire derrière nous.
On a une matière première qui est incroyable: il existe plus de 200 variétés de pommes qui sont utilisées en Normandie pour faire le Calvados et la grande majorité de ces fruits sont produits de manière hyper naturelle, sans traitements. On a préservé en Normandie des systèmes de plantation qui sont complètement durables.
Je pense qu’on a un héritage aujourd’hui dans la région, à travers l’activité du Calvados, qui est complètement en phase avec ce que recherchent les consommateurs : ce sont des entreprises familiales, des productions qui sont clairement écologiques et un produit qui est ancré dans son terroir et dans son histoire.
Terroir et innovation sont-ils incompatibles ?
Non pas du tout. Tout en respectant nos racines historiques, chez Drouin on a montré que l’on pouvait aussi être innovant et essayer de faire bouger les choses et ainsi faire connaître la catégorie différemment.
L’innovation a toujours été un axe fort chez Christian Drouin : mon père était quelqu’un de curieux et il s’était déjà donné au début des années 1980 l’ambition d’amener le Calvados plus loin que l’image de la catégorie à l’époque. Il a beaucoup travaillé à faire connaître le Calvados dans des régions de la planète ou personne ne le connaissait encore. On a toujours essayé de faire progresser le Calvados, en direction de la qualité des produits. Personnellement, j’ai beaucoup aimé travailler sur des partenariats avec d’autres distilleries pour travailler des finish par exemple, et on a aussi beaucoup réfléchi sur des questions de distillation : sur l’âge des cidres que l’on distille, sur les méthodes de distillation…
On a également lancé, il y a six ans bientôt, le Gin de Christian Drouin. C’est venu car nous travaillions de plus en plus avec les bars à cocktail et j’entendais souvent des barmans me présenter les derniers gins qu’ils avaient découverts. C’est une catégorie que je ne connaissais pas très bien à l’époque et donc je me suis renseigné, j’ai essayé de comprendre comment étaient produits tous ces gins. Et ce qui m’a beaucoup plu, c’était la liberté, qu’on a dans le gin, de composer et de travailler avec beaucoup de matières premières différentes. J’ai toujours adoré l’univers des arômes, le travail d’assemblage… Et dans un coin de ma tête a commencé à germer la question : pourrait-on faire un bon gin en travaillant autour de la pomme à cidre ? J’ai cherché des aromates qui pouvaient se marier au mieux avec la pomme à cidre. Pour essayer d’avoir une approche technique et d’être précis dans notre travail, on a pris le parti de travailler chaque aromate séparément donc de faire des macérations et des distillations séparées de chaque ingrédient de notre recette, cela nous permet d’optimiser l’extraction des arômes et de gagner en intensité.
Qu’est qui vous anime au quotidien ? Quel est votre dernier coup de cœur ?
J’aime bien essayer de trouver du sens dans ce que je fais, de faire de jolis projets, de les mener avec beaucoup de sérieux et de suivi. Je dis toujours que, si je n’avais que 5 assemblages à vendre, je pense que je serai peut être aller faire un autre métier. On est assez animé par la création, l’envie de faire des jolies bouteilles, à la fois esthétiques et qui éveillent vraiment des sensations chez les gens.
L’autre chose qui nous anime également depuis toujours c’est que l’on est persuadés que le Calvados est une “belle endormie”, que c’est un spiritueux incroyable et qu’il mérite vraiment d’être redécouvert. C’est en effet notre objectif du quotidien, les valeurs de pédagogie sont très fortes chez nous.
La dégustation qui m’a beaucoup marqué date d’il y a 2 ans environ. J’étais parti faire un petit tour à Cognac et je m’étais arrêté chez Hine. Dans leur joli salon, nous avions fait une dégustation verticale de tous leurs millésimes, et nous avions comparé les millésimes qu’ils font vieillir à Bristol avec ceux qu’ils font vieillir à Cognac
C’était vraiment fascinant de voir comment le terroir des chais avait une influence forte sur la dégustation finale. Et comme nous travaillions aussi historiquement les millésimes, cela m’a donné envie de faire une collaboration avec eux. On leur a pris quelques fûts et cela va nous permettre de sortir très prochainement le prochain assemblage « Expérimental » de Christian Drouin.
Quelle est votre relation aujourd’hui avec les cavistes ?
Ce que je trouve super avec les cavistes c’est que ce sont des portes parole, ce sont des ambassadeurs pour nous. Je suis très heureux de voir comment le regard des cavistes en France a changé sur le Calvados en l’espace de 15 ans. Un caviste c’est un professionnel des vins et des spiritueux, c’est quelqu’un qui est toujours à l’affût de découvrir et de comprendre les produits et ensuite de les faire découvrir à ses clients. Je suis content de voir cette évolution positive autour de la catégorie car les cavistes sont beaucoup plus enclins aujourd’hui, à découvrir le Calvados, à mieux le connaître et à le référencer dans leur cave.
Et je pense qu’ils ont raison !