by Nicolas RIMOUX, caviste | La Vigne & la Table
Alsacien d’origine, j’ai toujours pensé qu’après avoir roulé ma bosse sur la route des vignobles je connaissais les appellations alsaciennes comme ma poche. Erreur ! C’est à Paris que l’on m’a évoqué pour la première fois le nom de klevener et c’est en retournant sur mes terres d’enfance que j’ai pu prendre conscience de toute l’originalité de cette appellation. C’est donc sans surprise que j’ai pu apprécier un grand moment de dégustation en faisant un crochet dans le village de Heiligenstein. J’ai pris ce jour-là « une claque » en découvrant leur vin si confidentiel ! Un instant découverte et de partage décomplexé et enrichissant autour d’un cépage non classé parmi les « Nobles » d’Alsace.
Savagnin rosé, traminer, gewurztraminer… autant d’origines pour le klevener de Heiligenstein
Le klevener de Heiligenstein, connu depuis des siècles en Alsace et encore très peu connu dans l’écosystème des vins français ainsi que sur les tables, n’est autre que le savagnin rosé. Cépage autochtone alsacien ? pas exactement car il serait originaire du Nord de l’Italie (à priori du Tyrol) désigné sous le nom de « traminer ». Ce vieux cépage aurait disparu au profit de son cousin à la touche plus épicée le fameux gewurztraminer. Il serait également cousin avec le savagnin blanc du Jura utilisé pour la production de vin jaune ; il en serait une mutation rose et non aromatique. Néanmoins, beaucoup d’incertitudes subsistent encore quant à ses origines.
Considéré comme le vin le plus confidentiel d’Alsace, il reste omniprésent à Heiligenstein et quelques communes voisines, au nom imprononçable, dans le Nord du Bas-Rhin (Bourgheim, Gertwiller, Goxwiller, Heiligenstein et Obernai). C’est par un décret de 1997 qu’il est attribué dans les appellations alsaciennes dans ce périmètre géographique strictement délimité. C’est bien évidemment en se baladant au pied du Mont Saint-Odile dans le village éponyme que l’on découvre ce petit vignoble entre 200 et 300 mètres d’altitude. La vigne y aurait été introduite par les Romains au IIIème siècle après Jésus-Christ, jusqu’à en devenir une des principales sources de développement de la région. Le patrimoine architectural du village est également intéressant et mérite le détour en proposant les fameuses maisons à colombages, les wienstüb traditionnels ou encore la fontaine de l’Ours.
Les vins de Heiligenstein, un cépage pour table gastronomique
Les vins de Heiligenstein sont originaux, à la fois très amples, élégants et aromatiques. Ils se retrouvent très facilement sur les tables de restaurants gastronomiques (sans doute pas assez). Attention à la confusion car il n’a aucun lien avec le pinot blanc que l’on retrouve en Alsace sous les dénominations proches de « klevner », « clevener », ou encore « clevner ». Le patois alsacien ainsi que l’orthographe de ces raisins peuvent vous induire en erreur et vous orienter sur un simple pinot blanc.
Ce cépage est magnifique sur vignes avec une grappe aux petites baies de couleur légèrement rosé à maturité. A l’âge adulte les feuilles de vigne sont de petite taille. C’est une variété adaptée aux terroirs marneux et particulièrement résistante aux maladies, en particulier au regard de la pourriture grise.
Le klevener de Heiligenstein est généralement paré d’une robe jaune citron aux reflets dorés et légèrement brillants. Au nez, ce vin proposera un caractère aromatique intense, riche et élégant légèrement moins exubérant que son cousin le gewurztraminer. Il offrira des notes muscatés, d’épices douces, de pivoine, de fruits jaunes (coing, pêche, abricot ou encore poire) et de fruits exotiques (litchi et mangue principalement). En bouche c’est un vin toujours marqué par le fruit avec une belle amplitude et une jolie rondeur. Selon la date de vendange, il s’agit d’une appellation qui peut contenir plus ou moins de sucres résiduels et qui nécessitera donc de parfaire vos accords mets et vins.
Ce cépage aux arômes particulièrement prononcés, discrets et veloutés est donc un vin rare et confidentiel, car issu d’un cépage peu commun et d’un terroir peu étendu. Plus il sera conservé, plus son bouquet d’arômes sera exceptionnel. En matière de gastronomie ce vin a de la conservation (de deux à dix ans selon le niveau de sucre résiduel et/ou la date de vendange). Comme le Gewurztraminer il sera le compagnon idéal de la cuisine asiatique (gambas au curry, plats épicés, sushis etc.) mais également de vos recettes de poissons en sauce et de coquilles Saint-Jacques. L’accord régional se prête également à merveille notamment avec une quiche munster. S’il devait présenter un caractère moelleux alors il pourrait parfaitement s’accorder avec vos tartes aux fruits de saison (clafoutis aux abricots, tartes à la rhubarbe, etc.) et aux autres desserts fruités.
Confidentiel, rare, authentique, ce cépage mérite d’être mis en lumière et de s’inscrire dans la grande tradition des vins alsaciens proposés en flûte. A découvrir et à partager ! Pour moi il restera une jolie trouvaille qui continuera à me suivre et à me pousser à la recherche d’autres appellations méconnues qui font la richesse de notre patrimoine viticole et gastronomique.
Vous pouvez également retrouver une autre tribune écrite par Nicolas : Le beaujolais, vin de Gnafron et d’Édouard Herriot