Les whiskies Alfred Giraud, ou l’accomplissement d’une très longue tradition familiale de maîtres de chais exceptionnels de Cognac.
Rencontre avec Philippe Giraud, fondateur et président du whisky Alfred Giraud
Philippe, pourriez-vous nous décrire votre parcours ?
Je suis cognaçais, issu d’une famille de maîtres de chais dans une grande maison de Cognac. Après mes études, dont l’ESC Bordeaux (ndlr aujourd’hui Kedge), je suis rentré chez Rémy Cointreau, sur les liqueurs de 1991 à 1995. Puis j’ai filé chez William Grant’s où j’ai travaillé pendant 9 ans. J’y ai découvert le whisky. J’étais le « traître » 😄, à l’époque, certains membres de ma famille ont été vexés !
Puis en 2004, j’ai décidé de créer mon entreprise aux USA, qui aujourd’hui est un groupe de près de 100 millions d’euros et qui tourne autour de quatre divisions qui se complètent bien.
- Société de distribution de champagnes et spiritueux de luxe (Laurent-Perrier, Dalmore). basée au Mexique.
- Société de distribution de marques de beauté dans les Caraïbes pour les plus beaux groupes de luxe mondiaux.
- Société propriétaire de boutiques de marques de luxe à Panama, au Chili, à Saint Barth par exemple, qui abrite aussi les plus belles marques de luxe français et mondial.
- Et on a le Whisky Alfred Giraud, qui est le fruit de trois domaines d’expertises : le cognac, avec la connaissance du vieillissement et de l’assemblage, le whisky, et le luxe
Quelles sont les spécificités du whisky Alfred Giraud ?
Nous avons énormément investi depuis 2012 pour contrôler toute la chaîne de valeur dont l’acquisition de fûts d’exception. On a perdu beaucoup d’argent à date. Mais nous avons une vision claire : créer le 1er whisky d’exception à la française qui fera rayonner la France dans le monde, sans concession.
Quand on a démarré, nous n’avions pas de distillerie. On achetait des distillats aux quelques distilleries existantes à l’époque. Il y en avait une petite vingtaine, il y en a plus de 100 aujourd’hui ! Et on a mis une équipe de production d’exception dont George Clot. Mais en 2015, nous savions que pour que notre vision soit solidement ancrée, nous devions contrôler tout le processus de production de notre Single Malt, ce que nous avons fait.
Voici quelques-unes des spécificités du single malt Alfred Giraud que Gaëtan Mariolle, notre nouveau whisky maker, orchestre avec talent :
- Nous mettons 25% de notre production en orge bio. Nous ne possédons pas nos champs, même si nous y avions réfléchi, mais nous ne croyons pas que cela soit une décision pertinente compte-tenu des rotations de cultures obligatoires.
- Nous avons co-créé une malterie d’exception dans les Vosges, qui a plusieurs brevets, en partenariat avec Rozelieures. Elle ne malte que nos orges et permet de tracer nos malts et de personnaliser le processus de maltage de chaque lot d’orge !
- Nous travaillons avec 9 céréaliers avec un cahier des charges sur lequel nous ne sommes très impliqués. Le bio est approvisionné par la Corab près de Saintes, et les autres orges sont récoltées près de la malterie vosgienne. Nous n’avons que des orges de printemps.
- Nous sommes associés à la famille Nau qui distille l’orge maltée. C’est Julien Nau qui distille nos brassins.
- Nous avons une palette organoleptique très riche de distillats de fruits, de céréales et d’agrumes. Grâce au processus de fermentation, nous obtenons des moûts et des distillats très différents pour étendre la palette organoleptique.
- Notre distillation est réalisée dans des alambics charentais, traditionnels, de petite taille, en chauffe directe, avec double distillation.
- Nous sommes ensuite experts dans l’assemblage et le vieillissement.
- Nous avons une merranderie : nous avons une forêt, et faisons nos douelles avec nos bois.
Les whiskies Alfred Giraud s’articulent autour de 3 gammes de whiskies
- La gamme Signature : les deux whiskies Heritage et Harmonie sont vieillis dans des fûts de très vieux cognacs qui ont entre 30 et 60 ans d’âge. Ce sont des fûts qu’André Giraud (mon grand oncle) a trouvé au fil de l’eau. Des fûts d’exception. Et c’est d’ailleurs le goulot d’étranglement aujourd’hui. L’accès à ces fûts exceptionnels est très difficile alors que le reste du processus est vraiment plus accessible. Harmonie avec une réduction alcoolique lente. On a jusqu’à 10 mariages, c’est-à-dire des allers retours fûts et citerne chaque année.
- Gamme Exploration : le whisky Voyage est le 1er spiritueux vieilli dans un fût de robinier français, un bois tonique très difficile à utiliser (neuf), qu’on a assemblé avec un élevage en fût de sauternes. Ce double élevage compense la puissance aromatique du robinier. Les volumes de fûts que nous vieillissons et embouteillons se comptent sur les doigts de la main.
- Editions limitées : notre premier whisky, Intrigue, a un vieillissement dans des fûts exceptionnels. C’est un triple malt dont deux sont élevés en fût de sauvignon blanc, et le troisième dans quatre fûts différents. Au total, 809 bouteilles uniques sont éditées, et vendues à 389€. Je crois que ce prix est une aubaine.
Quelle est votre vision pour cette entreprise ?
Nous avons bâti une vision à 50 ans et nous traçons une route que nos petits-enfants pourront poursuivre.
Soyons clairs, je ne compte pas vendre cet actif. Nous voulons être n°1 et créer le spiritueux le plus exceptionnel au monde, et je parle ici en terme émotionnel. Nos cinq piliers sont clairement établis : la créativité, l’artisanat, l’excellence, l’authenticité et l’esprit de conquête, et nos valeurs sont sans compromis : distinction, admiration et récompense.
Mais justement, cette ambition est tellement élevée que la question pourra peut-être se poser de notre capacité à rester indépendant à terme. Pour le moment, j’ai la chance d’avoir un fils de 25 ans qui a toutes les qualités pour reprendre mes affaires.
Quels sont les marchés d’Alfred Giraud aujourd’hui ?
Nous avons lancé Alfred Giraud en France en 2019 et nous avons choisi Rothschild France Distribution à l’époque, devenu Campari France Distribution.
A l’international, nous sommes à New York et Miami où nous avons une belle distribution dans les étoilés ; nous avons aussi fait de belles incursions au Vietnam et en Corée du Sud. Et on sent l’attrait des asiatiques pour Alfred Giraud qui ont du respect pour l’histoire, pour notre background cognaçais ainsi que pour le luxe français.
Quel est l’impact des coûts aujourd’hui sur vos whiskies ?
Nous ressentons un impact significatif de la hausse des coûts. Cet impact provient de la hausse des coûts de l’énergie dans le process de distillation, la hausse des prix de l’orge, celle de la main d’oeuvre que nous augmentons aussi mécaniquement, celle du packaging où nous avons pris 30% sur le verre en deux temps.
En moyenne en 2022, nous avons connu une hausse de +18% que nous allons répercuter. Et nous avons vraiment de la chance, car l’offre étant aujourd’hui inférieure à la demande, nous pouvons nous permettre de passer cette hausse auprès du consommateur. Mais il faut qu’on soit vigilant.
Quels sont vos réseaux de distribution et modes de consommation ?
En France, nous sommes chez les cavistes à 100% même si nous avons peu de cavistes revendeurs, notamment parce que notre whisky a un prix élevé et que cela le rend naturellement sélectif. Nous sommes dans quelques CHR sélectifs. Et vous ne verrez jamais les whiskies Alfred Giraud en grande distribution.
Concernant la façon de consommer, notre approche initiale était classique, nous n’y avions en fait pas vraiment pensé tant cela nous semblait naturel que nos clients consommerait Alfred Giraud sec ou sur glace. Mais nous avons été surpris, notamment par certains CHR haut de gamme aux USA. Certains clients mirent Alfred Giraud en cocktail base, avec des cocktails très chers, je pense à l’Atelier de Joël Robuchon, qui pousse notamment des Old Fashioned à plus de 50€ et +. Ce fut une surprise pour nous. Mais nous l’acceptons car in fine, l’expérience est exceptionnelle.
👉 Pour aller plus loin, découvrez l’interview d’Hervé Bache-Gabrielsen qui nous dit tout sur ses cognacs et son nouveau Whisky éponyme.