Stephen Carroll, raconte-nous quel est ton parcours ?
C’est toute une aventure ! Je suis né à Londres à Notting Hill. Mais j’ai passé mon enfance à Bruxelles. J’ai atterri chez Diageo au début de ma carrière et j’ai nourri une passion pour les marques.
J’ai commencé sur Johnny Walker, en Angleterre, en Europe, puis en France. J’y ai appris à travailler sur les sujets packaging, de communication, et sur les programmes d’activation.
J’avais aussi créé un “mini Youtube” lors de la première bulle Internet que j’avais revendu pour une toute petite somme juste avant de rejoindre Rémy Cointreau.
Comment est née l’idée Don Papa ?
Lorsque j’étais chez Rémy Cointreau, je suis parti en vacances aux Philippines, sur une île qui fait la même taille que la Jamaïque et surnommée “l’île au sucre”. C’est une île de 3 millions de personnes, avec de superbes maisons coloniales décrépites comme à l’époque d’“Au Temps emporte Le Vent”.
Et je me suis dit que cette île avait tout : un volcan immense, de la canne à sucre, de vieux moulins, et je me suis alors dit : “où est le rhum” ?!
L’idée m’est venue en un instant, et elle est restée dans ma tête trois ou quatre ans.
Quelles ont été les étapes entre l’idée d’un rhum et la naissance de Don Papa ?
Pendant ce premier voyage, j’étais parti avec des amis, dont un qui avait hérité de quelques terres sur l’île et dont il était fier. On s’est retrouvé ensemble à déjeuner avec un vieux prêtre qui avait une jolie maison avec une vue imprenable, sur la mer et sur le volcan, et sur les plantations de canne à sucre. L’idée de ce rhum m’est venue pendant ce déjeuner. C’était évident.
D’ailleurs, je n’ai pas pu me retenir. Le soir même, j’ai évoqué l’idée lors du dîner. On m’a alors suggéré d’aller rencontrer un chinois qui avait une vieille distillerie proche de l’aéroport, ce que j’ai fait. C’était marrant. La graine de ce qui est devenu Don Papa était semée.
Je suis retourné sur l’île l’année suivante, et si mes amis m’ont reparlé du sujet et incité à accélérer, je ne pouvais pas encore faire cela. J’avais un conflit d’intérêt avec Rémy Cointreau pour qui je travaillais.
C’est en 2011, en quittant Rémy Cointreau et après avoir pris quelques mois de détente, qu’en mai ou juin, je me suis donné six mois pour pondre une histoire, un concept, et trouver des partenaires locaux. J’ai alors trouvé un accord avec un grand groupe local, la brasserie San Miguel, car ils avaient une belle distillerie sur l’île. J’ai alors travaillé avec eux sur le jus du rhum, avec des spécifications claires : un rhum produit, distillé et vieilli sur l’île…
San Miguel était heureux de ce brief car ils avaient des rhums vieillis qui ne servaient à rien, qu’ils avaient stockés pour un projet qui n’avait jamais vu le jour, et qui n’avait de leur point de vue pas vraiment d’avenir.
D’où vient le nom et l’histoire de Don Papa?
J’ai creusé dans les archives de l’île des éléments d’histoire, et il y a eu un événement qui m’a interpellé, il s’agit de la guerre de la libération de l’île de la domination espagnole, et qui eut lieu entre 1896 et 1899.
Dans ces archives, j’ai découvert le personnage de Papa Isio, révolutionnaire, chef de file populaire contre les colons espagnols, assez mystique et presque fascinant. Il avait monté une petite armée contre les Espagnols, puis contre les néo-colons américains.
Après avoir résisté jusqu’en 1907, Papa Isio fut capturé, mis en prison et décéda en 1911.
Et Don Papa est venu comme ça ! Don, une sorte d’inspiration évidente, un mélange de Vatican, de Rome, des Philippines, et qui a collé dans ma tête !
Papa Isio n’est plus très connu aux Philippines, quelques anciens s’en souviennent.
D’ailleurs, lors du lancement, une journaliste de 85 ans me dit : “je suis ravi car Papa Isio a été oublié pendant plus d’un siècle et vous avez ressuscité son histoire”.
D’où vient le packaging de la bouteille Don Papa ?
L’étiquette est ce qu’il y a eu de plus difficile à réaliser. J’avais plusieurs pistes de qualité, mais il me manquait quelque chose. J’ai alors sollicité une petite agence londonienne amie, et avec le budget serré que j’avais, ils m’ont informé qu’ils me proposeraient une unique piste créative et un mois après. J’ai attendu, et un mois après jour pour jour, ils m’ont présenté leur création, et j’ai su que c’était la bonne !
Comment s’est lancé Don Papa une fois que tu as eu ton jus, tes bouteilles, etc.?
Nous (2 de mes amis basés à Manille et moi) avons lancé Don Papa au début aux Philippines. On a lancé sur l’île, puis à Manille. Et tout notre budget est passé sur le lancement à Manille. C’était un risque à prendre, mais on devait faire quelque chose de significatif, on ne pouvait pas réaliser une sorte de petit lancement inaperçu.
On a invité 400 personnes, tout le beau monde, influenceurs, médias, etc. Avec le souhait de créer une marque internationale, présente dans les capitales du monde. C’était une superbe soirée, et la marque est devenue un peu culte là bas…Surtout, les femmes de l’île et la diaspora américaine qui allait et venait ont commencé à acheter et consommer Don Papa. Ce sont eux qui ont lancé le succès.
Ensuite, j’ai investi un peu pour participer à un salon du rhum à Londres, en octobre 2012. On a rencontré du monde, dont un couple venu de Paris qui a été décisif, puisque quelques mois après, Dugas est devenu notre distributeur en 2013 en France. Je peux dire que Dugas a fait un boulot magnifique, et grâce à lui, le réseau des cavistes a fait un job incroyable de prescription. Tout est allé beaucoup plus vite que prévu.
Quand et comment as-tu lancé Don Papa dans les autres pays?
Après la France, j’ai ouvert environ deux nouveaux marchés par an. La Belgique en 2013, puis l’Angleterre et l’Allemagne en 2014 et l’Italie et l’Espagne en 2015.
Pour l’Allemagne et l’Italie, cela a fonctionné sur le même modèle qu’en France : un déploiement chez les cavistes – en Italie, 4000 ou 5000 enotecas -, qui ont suscité une demande consommateurs très forte, et puis le on-trade.
Pour l’Espagne, le développement est structurellement différent car il y a au moins 80% de consommation en on-trade.
Comment comprendre que les cavistes sont à la fois les catalyseurs du succès de Don Papa et certains se sont opposés à son accessibilité, sa sucrosité ?
Je pense que la plupart des gens aiment l’idée du rhum. Mais qu’ils ne sont pas forcément des consommateurs purs. Un rhum plus abordable en goût peut alors être une proposition intéressante pour ce public. Il y a des cavistes puristes qui n’ont probablement pas adhéré, mais la plupart si comme en témoignent les chiffres.
Pour aller plus loin, il faut comprendre qu’il y a un sol volcanique aux Philippines, et la qualité intrinsèque de la canne à sucre et de la mélasse est très très bonne avec un très fort taux de sucrosité naturelle et d’exceptionnelles notes vanillées.
Pour Don Papa, on vieillit ⅔ du rhum dans des fûts de Bourbon importés des USA; et ⅓ dans des fûts de Rioja qui permettent de révéler encore mieux les esters, et un blend final refroidi à 2°C. C’est clairement un style de rhum hispanique, assez sucré, en opposition à des rhums plus anglo-saxons.
Moi, ce qui m’a toujours intéressé, c’est de créer un rhum qui permettrait aux gens de découvrir et d’apprécier le rhum. Je n’avais pas de vision consommateurs lors de la création de Don Papa, j’avais une vision produit, marque, c’est tout. Je voulais un rhum à boire sec ou sur glace, mais pas à mixer, qui soit le plus unanime possible en goût.
A quel moment as-tu compris que Don Papa allait marcher?
Ah ! C’est une drôle d’histoire ! On avait envoyé un premier container en France… On avait un deuxième container en route. Et la route, ce n’est pas rien ! Il fallait transporter ce second container de l’île à Manille par bateau, puis à Singapour, direction Le Havre, puis Paris… Bref… Ce second container a pris quelques semaines de retard. Monsieur Dugas m’a alors rétorqué que c’était inacceptable, et qu’il voulait alors 4 containers et m’a raccroché au nez… C’était chaud ! C’était dur, mais c’était aussi un bon problème. Et c’est là que j’ai compris qu’on avait quelque chose de vraiment intéressant, et qu’on pourrait faire de Don Papa un vrai “petit business”.
Fin 2013, on avait un objectif de vente de 10 000 bouteilles de Don Papa en France, et on en a fait 100 000.
Aujourd’hui, on en est à +1 600 000 bouteilles, et la France est le premier marché.
Le business est devenu un peu plus complexe forcément, mais la culture de Don Papa dans l’entreprise, avec près de 30 salariés aujourd’hui, est très simple et agile, comme à ses débuts.
Don Papa a marché tout seul ! Comment cela a-t-il été possible?
Cela s’est fait naturellement. Nous n’avions pas de financement extérieur, le consommateur a dicté le rythme de croissance. Il n’y avait pas d’objectif de résultats envers les distributeurs.
Les cavistes ont été lancés, ils ont adhéré très rapidement, et le on-trade a été lancé dans le même temps, même s’il a explosé avec un temps d’écart.
Je pense que l’approche classique de lancer des marques dans le top on-trade, de le descendre, puis d’aller éventuellement sur le circuit des cavistes est révolu.
Le circuit des cavistes est devenu le premier lieu de découverte consommateurs. Les cavistes ont beaucoup plus de connaissances à partager que les barmen surchargés à 2h00 du matin !
Pour nous, c’est la très forte demande des consommateurs, née chez les cavistes, qui a fait que Don Papa s’est diffusé dans tous les bars de France, même les plus reculés, deux années après environ.
Quels sont de ton point de vue les facteurs intrinsèques du succès de Don Papa ?
D’après nos études, il y a trois facteurs explicatifs du succès de Don Papa en France :
- le packaging : éléments de curiosité
- le jus abordable, et un vrai plaisir gustatif
- une histoire assez fantaisiste et lointaine, et exotique
Est-ce que ce succès peut rendre Don Papa banal ? As-tu peur de cela ?
J’avais la crainte que Don Papa ne soit qu’un phénomène de mode. Mais cela n’a pas été le cas. Pour autant, nous souhaitons rester frais et innovants, notamment en développant de nouveaux produits. D’ailleurs, nous avons trente à quarante produits en développement, ce n’est pas rien !
Le Rye Cask que nous avons lancé l’année dernière est un bon exemple. Et l’innovation produits, si au début elle m’ennuyait car je trouvais que le rythme imposé par les marchés était trop fort, est un volet qui nous intéresse vraiment.
Peux-tu nous dire un mot sur le gin Santa Ana ?
Les Philippines sont le plus grand marché de gin au monde, avec la plus forte concentration de plantes et de fleurs au monde. C’est un marché de 30 millions de caisses !
Alors on a fait un test. On a travaillé l’ylang-ylang, une fleur clé de Chanel N°5, qui produit des arômes fantastiques, dans un packaging de style Art Déco, car Manille était la capitale mondiale de l’Art Déco, même si on ne s’en souvient plus. Notre gin Santa Ana est donc très unique, mais c’est un test destiné exclusivement pour le marché philippin à ce stade au moins !
Quel avenir pour Don Papa chez les cavistes ?
Le circuit des cavistes indépendants reste absolument stratégique pour nous.
Je n’avais pas réalisé leur influence au démarrage de l’aventure et j’observe que la croissance de Don Papa sur ce circuit en France reste extraordinaire.
C’est le circuit clé, et la grande partie de notre développement est fondée sur les cavistes.
Vous pouvez également retrouver l’interview de Stephen Carroll sur notre page webinaires.
Nous pouvons vous aider à travailler avec les cavistes. Contactez-nous pour qu'on vous explique !
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